Protéines alternatives : et si la fermentation était une solution ?
Les levures, champignons et bactéries à la source d’étonnantes protéines
Le 15 janvier 2021, ADM Ventures annonce son entrée au capital d’Air Protein, une start-up américaine qui développe des analogues de viande à partir de protéines alternatives, produites, comme son nom l’indique, avec de l’air. Aussi surprenant que puisse paraître ce procédé, il ne s’agit pas d’une initiative isolée. De nombreuses entreprises à travers le monde travaillent actuellement au développement de protéines issues de procédés de fermentation à base de levures, de champignons ou de bactéries. Ces produits, pour la plupart encore en phase de développement, offrent déjà des résultats extrêmement prometteurs. Le point sur ce nouveau type de protéines avec Marc Chevrel, PDG de Arbiom, et Biospringer.
Des produits innovants, mais un procédé ancien
Les protéines issues de la fermentation sont souvent issues de procédés étonnants. Arbiom, entreprise franco-américaine d’une vingtaine de personnes, a par exemple développé une technologie innovante de production de protéines à partir de résidus de bois. L’entreprise travaillait avant 2016 sur les procédés de pré-traitement du bois et cherchait à valoriser ces substrats fermentescibles. Biospringer, entité du groupe Lesaffre, développait quant à lui des extraits de levures pour leurs qualités aromatiques, avant de lancer sa protéine de levure Springer Proteissimo™ 101, en octobre 2020. Plus étonnant : des procédés comme celui développé par Solein, start-up finlandaise, pour produire des protéines à partir d’un microbe, nourri avec du CO2 et de l’hydrogène relâchés par l’eau au contact de l’électricité. Ce procédé est proche de celui développé par Air Protein. La technologie de cette dernière aurait été imaginée dans les années 60 par la NASA, puis abandonnée, pour recycler en nourriture le CO2 dégagé par les astronautes. Un autre exemple surprenant relatif à la Nasa : la start-up Nature’s Fynd, basée à Chicago, qui développe une protéine issue de la fermentation de la bactérie Fusarium s. Yellostonensis. Celle-ci a été découverte dans les sources volcaniques de Yellowstone, sur les montagnes rocheuses, lors d’un projet de recherche visant à analyser sous quelles conditions chimiques la vie pouvait se développer, afin de prospecter la présence de vie sur d’autres planètes.
Cependant, si tous ces exemples de protéines alternatives sont très récents, le procédé de fermentation est utilisé depuis très longtemps dans notre alimentation. Le pain, le vin et le fromage, qui font la réputation de la gastronomie française, sont des exemples emblématiques de produits alimentaires traditionnels élaborés à partir d’un processus de fermentation. Il s’agit donc de donner une nouvelle ampleur à des processus de fermentation pour répondre à des besoins nouveaux de notre écosystème alimentaire. Point notable : sur le plan réglementaire, les produits développés par Arbiom et Biospringer ne sont d’ailleurs pas soumis à la réglementation Novel Food. « Il y a déjà eu dans le passé des utilisations dans l’alimentation humaine de la levure qui compose notre ingrédient Sylpro » explique Marc Chevrel, le fondateur de Arbiom. « Il en va de même pour l’alimentation animale : nous avions déjà un numéro d’enregistrement ». Pour le développement commercial de ces produits, il s’agit d’un atout important en comparaison d’autres protéines alternatives comme les insectes et les microalgues.
Des atouts importants sur le plan écologique et nutritionnel
Quelles que soient les matières premières utilisées, ces nouvelles protéines issues de procédés de fermentation ont de très forts atouts sur le plan environnemental et nutritionnel et répondent à un réel besoin actuel du marché. « C’est ce qui nous a poussé à reconvertir notre entreprise dans la production de protéines alternatives : nous avions identifié de forts besoins, en particulier pour l’aquaculture et pour la nutrition des animaux de compagnie et des porcelets. Aujourd’hui, on utilise principalement le soja importé d’Amérique Latine. Or celui-ci a de fortes contraintes environnementales, avec les problématiques liées à la déforestation. » résume Marc Chevrel. Du côté de Biospringer, c’est la croissance exponentielle du marché vegan qui a motivé le développement de Springer Proteissimo™. « De par notre activité historique, nous avions déjà une très bonne connaissance à la fois du marché vegan et de la levure. L’objectif avec ce lancement était de proposer une nouvelle alternative pour enrichir les aliments en protéines, notamment les substituts de viande ou de fromage, avec une protéine de bonne qualité sur le plan organoleptique et nutritionnel », explique Vanessa Gougeon, Cheffe de Produit Springer Proteissimo™.
Sur le plan des atouts nutritionnels, Springer Proteissimo™ 101 est composée au minimum de 75 % de protéines, avec l’ensemble des acides aminés essentiels. Elle est dénuée d’arrière-goût, contrairement à des protéines végétales marquées par un « goût végétal » souvent indésirable. Son score de digestibilité PDCAAS (une méthode de calcul validée par la FAO) est égal à 1, ce qui est le score maximal. Par comparaison, la protéine de soja a en moyenne un score de 0,9, celle du pois de 0,8 et celle du blé de 0,4. Pour évaluer l’impact de son produit sur la santé, Arbiom mène de son côté des tests à grande échelle sur les porcelets et les chiens. Les résultats montrent une diminution des problèmes digestifs des animaux. Il est trop tôt pour avoir des certitudes pour ce qui concerne la santé humaine, mais on peut imaginer que les bénéfices seraient proches.
Les avantages de ces protéines sont tout aussi intéressants sur le plan environnemental. « Dans les conditions volcaniques extrêmes où il a dû s’adapter, Fusarium s. Yellostonensis. a appris à rentabiliser au maximum ses ressources. Il n’a besoin que de 500 kilos d’amidon pour produire 1 tonne de substitut à la viande. En comparaison avec la protéine animale, on utilise 1 % de la terre, 10 % de l’eau et on émet 1 % des gaz à effet de serre (GES). » affirme Thomas Jonas, le fondateur de Nature’s Fynd. Du côté d’Arbiom, on privilégie une comparaison avec la protéine de soja : « en termes d’impact sur les GES, Sylpro est huit fois moins émetteur que le soja. » Mais l’importance, explique Marc Chevrel, est surtout de diversifier les ressources protéiques pour parvenir à un sain équilibre environnemental, en tirant parti des spécificités de chacune. La première usine de production de protéines issues de la fermentation du bois devrait être opérationnelle en 2024. Le début d’une nouvelle ère ?