Du volcan à l’assiette : la fabuleuse histoire d’un microbe - 3 questions à Thomas Jonas, CEO de Nature’s Fynd*
Comment avez-vous découvert cette nouvelle source de protéines ?
Tout commence par un projet de recherche de la NASA dans les sources volcaniques de Yellowstone, sur les montagnes rocheuses. L’objectif de départ était d’analyser sous quelles conditions chimiques la vie pouvait se développer afin de prospecter la présence de vie sur d’autres planètes. Dans une source acide au pH équivalent à une batterie de voiture, on a détecté une forme de vie microbienne aux propriétés absolument uniques. Fusarium s.Yellowstonensis contient 50% de protéines avec l’ensemble des acides aminés essentiels et se développe sous forme de filaments qui ressemblent à des filaments musculaires. Dans les conditions extrêmes où elle a dû s’adapter, elle a appris à rentabiliser au maximum ses ressources : elle n’a besoin que de 500 kilos d’amidon pour produire 1 tonne de viande alternative. C’est une efficacité bien supérieure à la protéine animale : en comparaison, on utilise 1% de la terre, 10% de l’eau et on émet 1% des gaz à effet de serre. Son profil aromatique est neutre. La technologie que nous avons développée se situe à la croisée de l’agriculture cellulaire et de l’agriculture urbaine verticale, avec des systèmes en plateau.
Quelles sont vos perspectives de développement ?
Après une première levée de fonds de 33 millions de dollars il y a un peu plus d’un an, nous venons de lever 80 millions de dollars auprès des fonds d’investissement de Bill Gates et d’Al Gore. Notre objectif est de commencer à vendre nos produits au consommateur américain dès la fin de l’année 2020, sous forme de viande et de produits laitiers. Notre première usine pilote à Chicago devait être inaugurée mi-mars ; la date a dû être décalée mais l’usine fonctionne déjà. Pour la petite histoire, elle est située dans l’ancien quartier des abattoirs de la ville ! Pour la suite, les perspectives sont aussi de vendre cette technologie en B2B : les agriculteurs pourront avoir une seconde récolte en produisant des protéines à partir de pulpe de betterave ou de paille… L’idée n’est pas de remplacer les circuits agricoles traditionnels, mais de fonctionner en synergie avec eux. Un autre projet sur lequel nous travaillons actuellement avec la NASA est le développement d’un bioréacteur de la taille d’une valise qui produirait suffisamment de protéines pour nourrir 2 astronautes dans l’espace.
De manière générale, quelle est votre vision du marché des protéines alternatives ?
Aujourd’hui, sous les coups conjugués de l’explosion démographique et du réchauffement climatique, nous arrivons aux limites du modèle de la première domestication agricole commencée il y a 11 000 ans. Ce type d’innovation ouvre la voie à une deuxième domestication, celle des microbes mais dans la continuité avec les modes de production actuels puisque cela vient se greffer sur ce qui existe déjà, d’un bout à l’autre de la chaîne agroalimentaire. Du côté des consommateurs, je suis toujours sidéré de constater la rapidité de l’évolution des mœurs dans ce domaine. Les études que nous faisons montrent que la moitié de la population est déjà prête à essayer nos produits. La crise actuelle vient encore accélérer cette tendance de fond car elle met en avant les préoccupations sanitaires et écologiques. Pendant la première semaine du confinement, les ventes de hamburger de plantes ont augmenté de 450% aux Etats-Unis ! En ce qui concerne la France, je crois qu’elle a un atout extraordinaire à jouer pour la R&D du secteur des protéines, avec un excellent réseau de talents et de compétences dans ce domaine. Les pouvoirs publics ont un vrai rôle à jouer pour encourager cette transition. Il n’y a pas de temps à perdre !
*Nature’s Fynd est une startup basée à Chicago qui utilise un microbe découvert dans le parc national de Yellowstone, aux Etats-Unis, pour produire des protéines alternatives.