« Déléguer notre alimentation est une folie » a lancé Emmanuel Macron, le 12 mai 2020, à la fin de la première vague de la pandémie. La crise sanitaire a en effet mis en évidence la dépendance alimentaire de la France, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement en protéines végétales pour la filière animale. A l’heure actuelle, la France produit un dixième de ses besoins en soja, indispensable à l’élevage. Or cela pose de nombreux problèmes, à la fois sur le plan écologique et sur celui de la qualité et de la traçabilité des produits. Comment faire face à ces enjeux ?
Des importations contestées
Le contexte de crise a renforcé la demande, déjà présente, d’une plus grande autonomie alimentaire pour la filière animale. En France, la moitié des matières riches en protéines destinées aux aliments d’élevage sont importées, essentiellement sous forme de tourteaux de soja. L’essentiel de ce soja importé est utilisé pour nourrir la volaille, les bovins et les porcs. Avec la crise sanitaire, des inquiétudes ont émergé sur ces flux d’importations, et donc sur la résilience de l’agriculture française. Le précédent ministre de l’Agriculture lui-même, interrogé le 24 mars 2020 sur Public Sénat au sujet de la dépendance protéique de la France, affirmait que « le Covid-19 va nous permettre de nous remettre en cause. (...) Il faudra que nous revoyions notre organisation sociale, économique, humaine et alimentaire. »
Outre la résilience, c’est aussi la durabilité de l’agriculture française qui est affectée par les importations de protéines végétales. D’après France AgriMer, 63 % des importations de tourteaux de soja en France sont assurées par le Brésil avec un risque qu'elles soient issues de la déforestation. Par ailleurs, à l’heure actuelle, sur les 3,5 millions de tonnes de tourteaux de soja importés, seules 450 000 tonnes sont non-OGM, soit 12%. C’est une raison supplémentaire, pour les agriculteurs et consommateurs, de rechercher d’autres sources d’approvisionnement en protéines.
Comment améliorer l’autonomie protéique des élevages français ?
Pour réduire la part d’importation des protéines végétales et en particulier du soja, plusieurs stratégies sont possibles. La première est de développer en France des cultures de soja. Cette culture a par ailleurs de nombreux avantages sur le plan agroécologique : elle ne nécessite aucune utilisation de phytosanitaires et permet d’améliorer la rotation des cultures. Introduire des plantations de soja peut donc être stratégique pour une exploitation agricole qui souhaite améliorer son bilan agroécologique, par exemple pour obtenir le label HVE (haute valeur environnementale). On voit donc augmenter les surfaces cultivées en France : selon la Commission européenne, 20 000 ha de plus en un an, soit 184 000 ha au total, avec de récents projets régionaux emblématiques comme en Bretagne et en Normandie. Cependant, le climat français ne permet pas de développer le soja à aussi grande échelle qu’au Brésil : il semble donc illusoire de remplacer 100 % des importations de soja par une production de soja français. A l’heure actuelle, la quasi-totalité du soja produit en France est destiné à l’alimentation humaine et non à l’alimentation animale.
Un deuxième axe d’amélioration peut donc venir des substituts au soja dans les formules d’aliments pour les animaux, grâce à de nouvelles ressources protéiques. Pour l’élevage du porc, on peut par exemple remplacer le soja par des tourteaux de tournesol ou de colza, ce qui est plus difficile pour la volaille. Le lupin commence à être testé et à rentrer dans l’alimentation des animaux d’élevage. D’autres expérimentations prometteuses concernent le pois, la féverole ou encore les protéines d’insectes. Celles-ci sont déjà utilisées en aquaculture, où elles apportent des nutriments intéressants et permettent de limiter l’utilisation d’antibiotiques. D’autres études sont en cours pour ce qui concerne la volaille et le porc ; cependant, il faudra prouver que l’impact carbone des protéines d’insectes soit inférieur à celui du soja importé. Enfin, des co-produits de la transformation industrielle sont déjà utilisés : il peut s’agir de co-produits de la filière lait, comme le lactosérum pour les élevages de porcs, ou de co-produits secs ou humides des industries de transformation des graines : son de blé, drèches de brasseries, résidus de betteraves, de pommes de terre ou de luzerne ou encore co-produits liquides issus du blé, du maïs ou du pois. « Dans les élevages bovins, ces co-produits peuvent représenter jusqu’à 100% de l’alimentation du bétail » indique Cédric Letissier, Directeur développement des activités chez Néalia, entreprise du Groupe VIVESCIA et leader de la nutrition animale dans la région Grand-Est. « Les éleveurs préfèrent en général fournir une alimentation non-OGM et locale à leur bétail, mais ce sont les acheteurs qui définissent le cahier des charges… et en dernier lieu, le consommateur lui-même » précise-t-il.
Vers une meilleure traçabilité des protéines importées
En tant qu’acheteurs, les grands groupes industriels prennent en effet des initiatives pour favoriser des importations de protéines végétales dont la production soit plus respectueuse de l’environnement et sans-OGM. Le groupe Les Mousquetaires, 3e groupe alimentaire le plus diversifié fort de ses 62 usines de fabrication en France, s’appuie ainsi sur ses partenariats avec les agriculteurs pour favoriser les bonnes pratiques alimentaires. « Nous avons engagé l’ensemble de nos 440 producteurs de lait dans une démarche 100 % sans OGM dans l’alimentation de leurs animaux » assure Christophe Bonno, Directeur des relations institutionnelles agricoles. Chez Herta, on cherche aussi à encourager les transitions dans la nutrition animale. « Au travers de notre démarche française Préférence, nous encourageons l'utilisation de céréales et de protéagineux produit localement pour l’alimentation des porcs. Aujourd’hui, la majorité de nos éleveurs partenaires produit eux-mêmes l’alimentation de leurs animaux et utilise les céréales de leur exploitation ou achetées localement. Quelques éleveurs fabriquent également le complément en protéine à partir de protéagineux produits sur leur exploitation. » explique Ludivine Cloatre, responsable de la filière animale.
L’autre enjeu, pour ces industriels, est de réussir à tracer le soja importé pour s’assurer qu’il ne provient pas d’une zone déforestée. Aujourd’hui, il est très compliqué de tracer intégralement la filière soja au Brésil. Mais plusieurs distributeurs travaillent sur ce sujet. Le 1er octobre 2020, le syndicat des fabricants d’alimentation animale (SNIA) a ainsi appelé à faire de la certification du soja « zéro déforestation » un standard. Pour la nutrition animale, cette certification occasionnera des surcoûts allant jusqu’à 69 millions d’euros, selon le syndicat, soit 0,45% du prix de vente des produits finaux.
Mais cette démarche doit s’accompagner du développement de la production de protéines sur le sol français, auquel le plan de relance consacrera 100 M€. « Toutes les protéines sont les bienvenues », résume Philippe Manry, vice-président du SNIA, en citant les cultures de lin, féverole, « l’intérêt croissant pour le pois », les légumineuses fourragères pour l’élevage ou encore l’amélioration de la teneur en protéines des céréales.